Ventiseri

Face au surplus, un couple de maraîchers donne aux démunis


Sous l’effet du réchauffement climatique, les récoltes explosent…et débordent. Dans la plaine orientale, un couple de maraîchers a choisi de donner, plutôt que de jeter. Un geste né dans l’urgence, aujourd’hui porté par une association, qui alimente les villages.

Article Corse-Matin du lundi 04 août 2025 par Léopold Paitier.


Face au surplus, un couple de maraîchers donne aux démunis
Ils n'ont pas voulu qu'on mette leurs noms dans le journal. Pourtant le geste, lui, est bien réel. En l'espace de dix jours, ce couple d'agriculteurs a cédé plus d'une tonne de fruits et légumes issus de son exploitation à l'association A Salvezza basé à Ventiseri. L'objectif ? redistribuer cette marchandise à des personnes en difficulté dans les villages de la Plaine orientale particulièrement. Des pastèques, melons, concombres, tomates, aubergines : des produits frais, bio, sortis directement du champ.
 
À l'origine, une situation devenue intenable. Sous l'effet du réchauffement climatique, les plantations se chevauchent et les récoltes arrivent toutes d'un coup. Impossible d'écouler ces volumes.
 
Dans ce contexte, plutôt que de regarder pourrir ses produits sous serre ou en plein champ, l'association a pensé à en faire profiter ceux qu'ils appellent "les vrais oubliés" : les anciens isolés des villages.
 
C'est son amie qui a initié le premier contact avec l'association. Depuis, trois vagues de dons ont permis de livrer jusqu'à 800 kg de fruits et légumes en quelques jours. "C'est allé très vite. Ce n'était pas pour se montrer. C'est juste qu'on ne supportait plus de jeter", glisse la maraîchère au téléphone.
 
Michel Baltolu et Alexia Cucchi, de l'association, n'en reviennent toujours pas de l'ampleur de la demande. "La chaleur fait mûrir tout en même temps. Ils n'arrivent plus à vendre, et nous, on ne peut pas fermer les yeux quand on sait que des gens n'ont plus les moyens de remplir leur frigo."
 
Les dons sont immédiatement conditionnés, transportés et distribués, en lien avec les mairies.
 
À Linguizzetta, à Ventiseri ou à Prunelli, les élus ont prêté main-forte pour identifier les bénéficiaires. Majoritairement des personnes âgées, isolées, vivant avec moins de 600 euros par mois.
 
Certains ne sortent plus de chez eux, faute de mobilité ou de moyens. Alors, l'équipe amène les cagettes jusqu'à leur porte. "Ce sont des personnes âgées avec des retraites très modestes, des gens qui vivent dans les logements sociaux de la commune. Ce n'est pas des gens qui ont des grosses villas", explique Alexia Cucchi.
Mais les remises se font le plus souvent avec discrétion. En Corse, la question de l'aide reste sensible : "L'identité fait que les gens ont une certaine dignité, et nous, on essaye de leur laisser cette dignité pour ne pas qu'ils la perdent ", confie Michel avant d'assurer : "C'est dur de voir que la précarité est encore un tabou ici. Mais c'est surtout plus présent qu'on ne le pense. Ce sont des produits que la plupart des gens que l'on aide pouvaient s'offrir avant."
 
Le modèle est rudimentaire, mais il fonctionne. C'est du champ au village sans intermédiaire. "Il n'y a pas de stock. Tout est livré et écoulé dans les deux ou trois jours. On compose des paniers avec ce qu'on reçoit : 5 tomates, 2 melons, 1 pastèque, quelques aubergines…", détaille Alexia. L'idée de départ reste simple : ne rien jeter, et redonner du sens à ce que la terre produit. "Ce n'est pas du légume de rebut, ni mal calibré. C'est du bon produit, juste en trop grande quantité pour être absorbé par la consommation locale", affirme le couple de maraîchers.
 
Pour l'instant, ce sont les seuls maraîchers à agir de la sorte. La peur de malentendus, de polémiques ou, tout simplement, de ne pas avoir le temps, a freiné d'autres structures.
 
Et pourtant, le besoin est là. Les retours sur les réseaux sociaux sont nombreux. Des appels viennent de Balagne, de Bastia, de Porto-Vecchio. Dans les Ehpad aussi, on s'organise : à Propriano, les pastèques reçues ont été pressées par le cuisinier pour offrir aux résidents des jus et des granités.
 
Du côté du couple de maraîchers, l'initiative pourrait se pérenniser si on leur tend la main. "Sur le plan moral, c'est réconfortant… mais ce n'est pas viable économiquement. Si ça devait continuer, il faudrait qu'on soit accompagnés."
Leur priorité, c'est de tenir la saison. Ensuite, viendra peut-être le moment de structurer l'initiative. De penser à une mise en commun avec d'autres exploitants. "Ce n'était pas prévu. Mais vu les retours humains, on se dit qu'on a bien fait." Pour l'instant, la démarche ne permet pas de s'étendre à l'année : "L'hiver, on produit moins, et ce sont des légumes de conservation. Il y a beaucoup moins de surplus." Mais le réchauffement climatique pourrait en décider autrement : "Si les saisons continuent de s'emballer comme cette année, les pics de production vont devenir la norme", conclut l'agricultrice.