À Ventiseri, l'art contemporain s'invite dans la vie du village


À Ventiseri village, une maison pas comme les autres à vu le jour. Inaugurée en juin, la « casa donna di à serra » mêle tradition et art contemporain, autour du projet intime de la plasticienne Valérie Giovanni. Un lieu pensé pour rassembler, éveiller les sens et ouvrir le village au reste du monde.

Article Corse-Matin du dimanche 03 août 2025 par Léopold Paitier.


Il y a des maisons qui murmurent au cœur des villages. Non pas parce qu’elles sont hantées mais parce qu'elles appellent à la rencontre et à la convivialité. À Ventiseri, la Casa Donna di a Serra inauguré en juin, irradie cette force singulière. Ici, rien n'est laissé au hasard. La façade, fidèle à la tradition corse, cache un espace entièrement repensé, rénové pierre après pierre. À l'intérieur, la surprise dénote avec le reste : murs contemporains, volumes nus, lumières découpées, l'ancien et le nouveau se croisent et peut-être s'apprivoisent. Car c'est cette volonté qui a poussé Valérie Giovanni, plasticienne, à poser son regard sur le monde depuis Ventiseri.

Installé au village depuis cinq ans, le projet trottait déjà dans sa tête. "J'avais cette idée un peu folle de créer un lieu qui rassemble le monde rural autour de l'art contemporain." Son constat : l'art contemporain, ici comme ailleurs, garde une image élitiste. "Les outils ne sont pas mis en place pour donner accès à d'autres populations, qui par la géographie ou la crainte n'iront jamais dans un lieu dédié."

Le déclic vient d'une maison à vendre, en plein cœur du village. L'ancienne propriétaire s'attache vite au projet : "Elle m'a dit : ''Je préfère te la vendre à toi.''" Achat, puis un an de travaux, menés en couple. "On a tout rénové en essayant de faire ressortir l'âme du lieu." D'extérieur, rien n'a changé. À l'intérieur, pourtant, "ça devient vraiment quelque chose d'ultra-contemporain, comme un musée. C'est la rencontre entre la tradition et la modernité qui m'intéresse".
 

La Casa Donna di a Serra ne ressemble pas à un musée classique. Ici, Valérie Giovanni crée aussi, installe ses œuvres, expérimente.

"C'est mon lieu de travail, j'y fais aussi vivre l'art vidéo, l'installation sonore, la performance." Environ deux à trois expos par an, et l'idée d'ouvrir le dialogue entre artistes venus de Corse ou d'ailleurs. "En septembre, j'invite une artiste colombienne d'origine libanaise. Le thème, c'est la maison perdue : elle travaille des petites sculptures de maison, avec des matériaux du territoire : immortelles, branches d'olivier, tissus anciens récupérés et moi je travaille le problème de l'indivision, de la transmission. On croisera nos œuvres autour de ça."

Le public ne s'y trompe pas. Depuis l'ouverture en juin, les habitants observent, discutent, reviennent dans cet espace en entrée libre du jeudi au dimanche.

"Ça crée du dialogue, ça renforce les liens. Des gens qui n'avaient jamais mis les pieds dans un lieu d'art sont venus, certains plusieurs fois. Il y a eu des émotions, des larmes : pour moi, c'est déjà gagné." Les anecdotes fourmillent, comme ces visiteurs matinaux qui se retrouvent à discuter de l'expo autour d'un café au bar du village, ou ces habitants fiers d'avoir assisté, travaux après travaux, à la naissance du nouveau lieu sans savoir encore ce qu'il cachait.

La stratégie ? Démocratiser l'accès à l'art dans le village afin de rassembler : "J'ai beaucoup discuté avec eux. Je leur ai dit que la compréhension n'était pas le plus important, il fallait juste se laisser porter, y aller sans a priori." Résultat, c'est le village tout entier qui fréquente la maison, parfois pour voir, parfois pour revoir. "Il faut y retourner. La première fois, on observe, la deuxième, on va essayer de voir autre chose, on y va pour comprendre différemment. Ce n'est pas quelque chose qu'on voit une seule fois."

 

Derrière ce projet, aucun militantisme criard. "Ce n'est pas un lieu féministe militant. La maison s'appelle Casa Donna di a Serra parce qu'en face, il y a une montagne, qui ressemble à une femme allongée. Je l'ai toujours vue comme ça." L'hommage est subtil, ouvert à toutes les lectures. "C'est une façon de montrer que la femme, traditionnellement au foyer, réintègre ici la maison autrement, comme artiste." Les artistes invités seront aussi bien des femmes que des hommes. "C'est une approche féminine du territoire, une ouverture, pas une exclusion." La spiritualité de Valérie transparaît : l'énergie du lieu, la force du paysage.

Dans ce village avec peu d'offres culturelles, la Casa Donna di a Serra fait figure de pari : centraliser dans un coin reculé, mais tout près de la plaine, ce que beaucoup n'imaginaient pas possible ici. "On n'a presque rien en termes d'offre culturelle, alors c'était important d'ancrer quelque chose là." L'art contemporain, en s'installant dans la maison, anime la vie collective. Et même la montagne, vue chaque jour depuis la rue principale, semble avoir changé de visage. "Des habitants m'ont dit : “Maintenant, je vais la regarder différemment”", conclut en souriant Valérie Giovanni.